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Sur Jean Lecoultre, textes choisis

2021 – Christophe Gallaz – Catalogue de l’exposition “Jean Lecoultre, l’oeil à vif, peintures et dessins

“Je pense à Jean Lecoultre. À l’arc de l’existence allant de l’enfance au bel âge. A la première façon dont le regard des humains se transforme au cours de ce voyage. Et à la seconde façon dont il sélectionne ou non le détail au sein de la généralité.
Dans les premières semaines après ma naissance, je repère toute silhouette et tout objet qui se meuvent dans l’espace environnant. Je les en détache visuellement et mentalement pour y suivre leur mouvement de mes prunelles bleues émergées de la nuit millénaire. L’aune exclusive de mon regard est le détail. J’ai besoin qu’il munisse ma mémoire de repères clairs et nets pouvant m’instruire ou m’enchanter. C’est le temps de la construction.

Dans mon âge adulte, mon regard avantage ses compétences utilitaires. Je ne perçois plus le détail à moins qu’il soit de nature stratégique. Je balaie ma scène quotidienne d’un œil synthétique pour qu’elle devienne le champ de mes manœuvres, de mes victoires et de mes défaites. Il doit me signaler les pièges et les promesses que mes efforts et le destin me réservent. Je suis en concurrence avec mes congénères. C’est le temps des ambitions séculières et de la guerre.
Et dans mon bel âge, celui qui me rapproche des territoires suspendus, je reviens au détail, mais non pour en tirer les services qu’il me dispensait dans l’enfance. Je le veux doué d’une portée symbolique et métaphorique. Débordant ses pouvoirs documentaires. Ainsi retiens-je ce que je veux de ce que je vois du temps présent, et ce que je veux de ce que mon passé m’a fait voir. Nouvelle liberté. Je n’ai plus besoin d’être enseigné, mais de comprendre. Quelle fut ma vie? Nulle ou féconde? Aussi pour autrui? Et même pour moi, d’ailleurs? C’est le temps des cristallisations.

Après quoi, sur le mode de l’essayisme, on pourrait affirmer que les seules périodes de l’existence humaine sachant regarder sont celles de l’enfance et du bel âge, et que sa période aveugle est l’âge adulte. Que l’enfance et le bel âge connaissent le monde dont l’âge adulte se saisit jusqu’à le détruire. Et cette enfance et ce bel âge savent les arts quand l’âge adulte se félicite de consommer la culture.


Ici Jean Lecoultre apparaît. N’ayant jamais été l’adulte des épaisseurs, des positionnements séculiers et des généralisations prédatrices, mais le guetteur du détail sollicité pour constituer ses œuvres, si l’on excepte les premières d’entre elles où s’aperçoivent des paysages et des silhouettes entiers.

Ainsi s’est multipliée sur ses toiles et ses dessins la figuration d’éléments que la bien-voyance et la bien-pensance usuelles ne conjoindraient pas, ou qu’elles accorderaient entre eux plus scolairement. Des pans de fourrure et du marbre, par exemple, ou des contours d’animaux archaïques et des corps humains d’hommes ou de femmes, certains en voie d’effacement.


Ou des lambeaux de tapisserie domestique, des portions de visages, des segments de grillage, des reliefs de microphones, un coin de lavabo, des plis, des ombres, un rectangle d’eaux et de vagues aux airs de tapis volant. Ou des morceaux de sacoche ou de valises à roulettes, des bouts d’installations électriques, des sacs-poubelle ou des anges en version stylisée telle qu’ils ponctuent parfois en graffitis nos ordinaires urbains.


Vous pensez d’abord que cette œuvre relève pour vous de la confirmation visuelle. Que vous n’en avez pas besoin. Que vous êtes assez précisément renseigné sur le monde en tant que somme d’éléments vivants et morts, organiques et minéraux, anciens et modernes organisés en son sein sans logique apparente, voire sous les signes du désordre et de la confusion.

Vous iriez jusqu’à vous présumer capable de conférer vous-même au tohu-bohu de ce monde, grâce à la fermeté de votre esprit, des principes de cohérence et même de cohésion. Pas besoin de peintre. Ou vous vous sentez suffisamment désillusionné pour accepter que le n’importe quoi peuplant vos décors quotidiens se tient parfaitement, après tout. Pas besoin de peintre. Ainsi de suite.
Or non. Ça ne marchera pas. Notre époque est trop dissociante et dissociée pour vous. Vous ne vous y dépatouillerez pas seul. Elle vous condamne avec trop de violence aux abstractions du secteur tertiaire déserté par les corps et les visages. Elle vous soumet trop cruellement à chacune de nos villes n’étant devenues que le clone architectural, culturel et marchand des autres. Vous êtes donc en désarroi. Très bien. Un compagnon s’impose.
Rejoignons notre ami.


Jean Lecoultre, en juxtaposant ses détails, confirme que la rage du vrai moine combattant se nourrit nécessairement d’intelligence et de lucidité. Je parle ici de la rage inspirée, qui donne à percevoir des liens possibles entre les choses et les choses, les souvenirs et leur prétexte ou leur objet, ou les symptômes et ce qu’ils indiquent, ou simplement les causes et leurs effets.
À partir de là c’est au spectateur d’agir. Ayant saisi que la sacoche et l’équipement électrique, ou les sacs-poubelle et les anges figurés en version stylisée, ont quelque chose à lui suggérer en fonction de la mise en voisinage que l’artiste en a faite sur la toile ou le papier, il en tirera des bénéfices éminents.Une meilleure connaissance de sa propre position dans le monde éclaté qui l’environne, par exemple. Une stimulation de son aptitude à le déchiffrer. Un ajustement plus précis de son point de vue sur les tenants et les aboutissants qui structurent notre époque.

Puis il distinguera des choses cachées et souvent subreptices.
Le faux progrès qui rampe sous le progrès vanté comme tel et chanté sur les tribunes néolibérales et politiques. La perversion fatale du pouvoir et des partis et les perversités de l’instance repressive masquées sous la rhétorique de la loi. Les abus de la marchandise au fond des êtres assommés de consommations. Et l’angoisse en parasite insoupçonné du dépassement technique illimité.

Ainsi va l’oeuvre de l’artiste, en forme d’invite au jeu cérébral et sensible des spectateurs face à son œuvre. Certains d’entre eux sachant partager les perceptions mises en scène par son auteur. D’autres projetant les leurs hors des siennes, parfois sur le mode de la contradiction vive et nette. Et d’autres encore vous expliquant qu’ils sont insensibles à ces images ou ne les supportent pas, tant elles leur proposent un langage jugé plus indéchiffrable que leur propre émiettement existentiel.
Vouloir ou ne pas vouloir regarder ce qu’on est soi-même, ou ce qu’est le réel du monde, c’est aussi l’alternative que cette œuvre soumet à la réflexion des spectateurs eux-mêmes. En écrivant cela je songe à celle de Godard, aussi, qui suscite les mêmes types d’incompréhension auprès des mêmes publics, son orchestration du matériau filmique leur semblant pareillement éloignée des procédés narratifs déroulés comme l’ennui d’un point A jusqu’au point Z opportunément nommé la chute.


Aujourd’hui le bel âge est venu, entretenant le peintre dans ses procédés familiers qu’il rend cependant plus déliés et plus légers. Tel est pour lui le temps des cristallisations, comme nous disions tout à l’heure, et du détail élu pour sa portée symbolique et métaphorique.

Il s’agit évidemment pour lui de realiser des tableaux, comme depuis ses commencements, mais de retrouver en même temps le papier pratiqué voici des dizaines d’années. De tra. vailler plus spontanément, aussi, sans réaliser d’esquisse ou de croquis préalables. Et puisqu’il ne fut jamais l’adulte normé comme la règle aurait voulu, de libérer en lui les inventivités les plus fraîches.


Il en résulte des travaux récents qui sont fidèles au style des antérieurs et donc aisément reconnaissables, mais plus dégagés et plus ouverts, ou mieux offerts. Non pas dépouillés au sens où ce vocable connote l’austérité, mais au sens de la fluidité formelle et de la simplicité. Il y a moins de monde sur la surface à l’intérieur des cadres.


Voici poindre alors, de ce labeur qui persiste à plus de quatre-vingt-dix ans, un tableau figurant une silhouette d’homme aperçue de dos comme pour se désigner en fuite. Mais fuyant quoi, si cette lecture est la bonne? Ce qui semble une petite flamme verte au premier plan, peut-être, le fond de la toile étant couleur de suie mais débordée dans ses bords par une ombre blanche évoquant la prémisse d’une aube?
Ou l’homme de dos craint-il le vert, mais que lui crierait alors ce vert? A moins que la petite flamme signalée tout à l’heure ne soit que du vert privé de la moindre intention mélodramatique, en sa qualité purement technique de signal chromatique faisant équilibre ou déséquilibre avec ses voisins? À moins, encore, qu’elle symbolise une revanche chlorophyllienne possible sur l’humain moderne impliqué si puissamment dans l’assassinat de la nature?

Voilà. Vous pourriez continuer à détricoter et retricoter ce mikado d’hypothèses jusqu’à minuit de chaque soir et ce jeu Serait sans doute aussi réjouissant que somptueusement vain, Cart étant moins l’extase des quadrilleurs que le voyage des pèlerins.

Quant à moi je regarde Jean Lecoultre dix ou vingt mètres
devant moi, dans la ruelle conduisant à son atelier près de Lausanne, tout en explorations semeuses d’incertitudes, qui se continue lui-même entre ses horaires déterminés comme une horloge et ses façonnages basculants – et l’existence est belle.”

-CG

©La Dogana, Genève, 2021


2006 – Christophe Bataille – Catalogue de l’exposition “Composants dérivés” à la galerie Guigon, Paris.

Qu’est-ce que le beau?

Je ne connais pas Jean Lecoultre. Je vois qu’il est depuis toujours l’homme des greffes, des matières arrachées, des images en découpe. Il est donc l’homme. Nous. Moi. L’homme disjoint, hésitant, tranché. Avec ce souvenir de Pascal puis des Lumières : grandeur et misère; un désir encore d’être dans la société.


Jean Lecoultre vit en Suisse. Dans la folie suisse. Pays fou méconnu qui nous donne de grandes œuvres. Folie close. Folie des Alpes et des lacs. Folie radicale qu’on croit percevoir dans les coffres de banque, ou rue du Rhône, à Genève. L’or, le temps, la pureté. Tel est le mensonge. Dans ces trois folies, je ne vois qu’une division maléfique. Un or invisible, caché, un or sans nom, rendu à tous et à personne. Un temps exhibé, saisi dans un objet. J’aime l’artisan dans ses rouages, qui ne pense jamais. Enfin, la pureté. Je respire. Vraiment ? Faut-il ?
Mais quel air glacé ? Celui de Ramuz qui suffoque le poumon ?
Le gonfle d’eau et de loups ? Celui de Calvin qui prêche et qui brûle ?
Impossible, face à l’œuvre de Lecoultre, de parler en continuité.
Michel Butor séquence son texte de 1994 en treize paragraphes qui s’achèvent ainsi : « le temps boîte ». Or c’est l’écrivain qui boîte dans la peinture de Lecoultre. Plan déclive où rien ne tient, pas même la lumière. Pas un mot de joie. Pas une cendre. J’allais dire : pas une femme, mais c’est mentir.


Butor commence : « Mis en demeure, j’attends le praticien.
J’examine les meubles, machines, installations sanitaires. Je tourne autour de la salle pour vérifier qu’il n’y a pas de fenêtre. »
Plus loin, les mots laboratoire, courage, délivrer, cliquetis, siège pivotant. L’écrivain a-t-il peur ? Laboratoire ? Prison ?
Tête malade et close ? Tête d’homme qui nous dit le monde ?

Territoires greffés, 1979. Une poutrelle d’acier devient fourrure.
Ou plutôt : une jambe inhumaine révèle son os de métal.
Derrière, quelques chiffres et indications. Une pesée. Une identité. Un gène ?

Souvenir d’un poème d’Alfred de Vigny : « Ne me laisse jamais avec la nature, car je la connais trop pour n’en pas avoir peur. »
Souvenir d’une citation latine, que j’ai longtemps méprisée :
«Ars est homo additus naturae ». L’art est l’homme ajouté à la nature. Ici, ni homme, ni nature. Mais l’ajout. La grandeur des corps sans organes. Des organes sans tête. Des têtes sans corps. La pensée flotte, se répand, de forme en forme. Elle jaillit d’une photographie. D’une tête de Mickey. D’une main révélant l’origine du monde.

Je crois que Lecoultre aime Courbet. Disons que je décide.
Le Courbet du Doubs : enterrement, grands dévers de granit, herbes dures. Je crois que Lecoultre aime La Méditerranée, de Courbet – dieu soit loué Courbet la nomme ainsi, car elle est glaciale, cette tôle noire. Au-dessus, mais loin du ciel rédempteur, un soleil cerclé de rose. Un soleil négatif. Soleil mauvais sur plaque à naufrage. Lecoultre n’est pas dans les lavandes. Ni dans l’antique. Sa nature brise, tranche, révèle.

Domaines rapportés, 1986 : un vampire, ou un singe noir hideux, ou un « homme de l’envers » comme en crache le Moyen Age, glabre le jour et révélé la nuit, dans sa furie, dans ses poils, se tord devant un corps nu. Est-ce une prière?
Un chant ?

Depuis des mois, écrire ces quelques pages d’introduction me terrifie. Je suis comme devant un mur blanc. Les images viennent, sans pensée. C’est la puissance de Lecoultre : nous contaminer. Nous éloigner de l’icône (qui parle).

Répliques, 1993. Un nourrisson crayonné. Ses pieds, ses cuisses, la chair laiteuse et belle du tout juste né. Puis un tronc étrange qui fait comme un chien. Un museau aveugle.
Ou un nœud de chair. Je tourne la page. Je reviens. Est-ce un être ? Une vision ? Un miroir ? Suis-je cette mauvaise réplique ? Suis-je, moi l’homme fait, cette difformité? Cet inaccomplissement, un peu ignoble, assez invivable ?

Autre Répliques, toujours 1993. Un fauteuil. Une chaise de dentiste. De gynécologue. Derrière ce trône pourpre, une immense peau tendue. Là encore, j’hésite : peau de cerf à qui apparaissent les saints, dans les forêts Renaissance ?
Pièce de boucher ? Peau de chagrin ?

Répliques, 1993. Non, Lecoultre, je ne veux pas rêver.
Guy Debord écrit : « La sagesse ne viendra jamais ».
Détournement ? Parole de Chamfort raillée ? Lecoultre est sans sagesse. Il est sans sommeil. Il est brisé. J’aime le nom : MENACE INTIME, inventé par Butor pour son livre sur une suite de dessins de Lecoultre. C’est le sens même de son œuvre, qui joue, menace.

Dans tes « Composants dérivés », cher Jean, des organes vitaux : le cerveau ; le cœur, le poumon. Et ce visage, en écorché, ce visage endolori par ses nerfs. Ou au repos, c’est indécidable. Je sursaute : un instant j’y ai vu des vipères blanches.

Lecoultre raconte l’homme nouveau, et le monde de l’homme nouveau. Une main inhumaine presse un cœur. Un thorax mangé par les rayons x flotte contre une poutrelle. Cet homme nouveau n’est pas sans grandeur. Disons qu’il fouaille le néant.

Tiens, une photo de 1972. Le peintre se tient, à New York, entre deux minces cabines téléphoniques. Cabines opaques, presque irréelles. L’homme coupé. Séquencé.

Heurté par d’autres matières. Comme un constat scientifique. Cette photo ne fait pas sourire, pourtant elle devrait.

A la droite de Lecoultre, au paradis des corps tranchés, ouverts pour ne pas jouir, David Cronenberg. Lecoultre a-t-il vu ses films ? Le connaît-il ? C’est son jumeau de l’ouest, qui lui non plus ne répond pas à la question de Saint-Thomas (citée par Jacques Chessex dans LES DANGERS DE LECOULTRE) : « Qu’est-ce que le beau ? ». Réponse : « Ce qui plaît à la vue. » Notre œil ne voit plus le monde, mais l’œil incisé.

-CB

©2006 Galerie Guigon, Paris


1994 – Carlos Saura – Catalogue de l’exposition de Jean Lecoultre au Musée Jenisch à Vevey

“C’est bien connu, tout comme avec la musique et les odeurs, il suffit parfois de contempler uns image pour rememorer le passé. Même si elle n’est pas exceptionnelle, ni assez belle et qu’elle ne possède pas de véritable qualité technique, une seule image suffit pour lare reconnaître le passé, pour nous transporter vers l’inconnu – qu’il ait été oublié, inconsciemment refoulé, qu’il soit aujourd’hui surmonté ou se soit simplement refermé – et provoquer le bouleversement des sens.
Bien entendu, je ne me souviens pas comment l’image photographique à laquelle je me réfère maintenant fut captée, ni ce que nous fîmes avant et après l’étrange pose. En revanche, je me suis rappelé, après l’avoir contemplée, le lieu, l’occasion, l’amitié. J’ai senti en la regardant avec surprise une rafale de vent à la fois chaud et fétide, un soubresaut qui confond générosité et tristesse.
Les données les plus évidentes sont la jeunesse des trois protagonistes, l’habil lement démodé et la pose apparemment recherchée; les moins évidentes sont par exemple, même si pour les capter il faut avoir recours au souvenir personnel, les rideaux anachroniques qui couvraient les murs de la salle de la Casa Americana de Madrid où nous exposions, quelques lourds cadres obsolètes qui contrastaient avec l’insolite modernité des œuvres, la disparition de beaucoup d’entre elles et, essen-tellement, la pénible situation du pays, son isolement et l’absence de liberté. La photographie peut refléter tout cela. Elle possède en tout cas une aura très spéciale que le statisme de l’image, sa propre condition d’instant fossilisé, contribue à accen-tuer.
A cette époque, je me trouvais plongé dans le «véritable paysage du subcons-cient». Du moins ainsi le croyais-je, de manière passionnée, désireux de fuir à Paris pour respirer la liberté et connaître André Breton. Dans la médiocrité du climat ambiant de Madrid, elles étaient peu nombreuses, les personnes qui offraient une compensation culturelle justifiant le séjour dans la ville mourante, dns le pas soumis. Juana Mordó, grande dame séfarade, était l’une d’entre elles: un jour pr semaine, ou par mois -je nom souviens pas bien- elle tenait un salon littéraire à l’ancienne mode. Mon frère Carlos,José Ayllón et moi-même étions les benjamins des réunions, des enfants véritablement choyés malgré notre impertinence. C’est dans cette maison que je fis la connaissance du peintre suisse Jean Lecoultre, auquel depuis lors me lie une grande amitié.

Nous nous voyions très fréquemment en compagnie de José Ayllón et, pendant une période, nous travaillâmes même ensemble dans mon petit atelier entièrement peint en noir. Sa peinture, alors influencée par son compatriote Paul Klee, constitua pour moi un stimulant parce qu’elle répondait techniquement à une modernité manifeste; et depuis, sa personnelle et cyclique métamorphose des formes n’a pas cessé de provoquer de continuels soubresauts.
Dans son œuvre actuelle, si énigmatique, réside un mystère très différent de l’autre, le lointain, tous deux se ravivant mutuellement dans le désarroi du pré-sent.
En 1954, je partis définitivement pour m’installer à Paris. Jean resta quelque temps en Espagne tandis que José Ayllón ne l’abandonnerait jamais. Voici qu’à travers cette photographie redécouverte, nous nous unissons à nouveau dans la mémoire. Il me semble que ce serait une bonne idée de nous retrouver nouvelle photographie en adoptant mimétiquement les mêmE templer comment triomphe et perdure, malgré la cruauté du l’éloignement, la véritable amitié.

-CS

©1994 Musée Jenisch / Fondation William Cuendet


2003 – Michel Thévoz – Catalogue de l’exposition de Jean Lecoultre à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny, dont il est le commissaire.

L’auberge espagnole

“Freud relate quelque part (je n’ai pas retrouvé la référence) les circonstances d’un attentat anarchiste qui avait eu lieu dans les années 1900 au Parlement allemand.
La bombe, de confection artisanale, m’avait pas eu plus d’effet qu’un pétard. Néanmoins, la police avait aussitôt bouclé les issues du Reichstag pour interroger une à une les personnes qui se trouvaient dans la tribune du public.
La première affirma n’avoir rien remarqué de particulier.
«Vous n’êtes pourtant pas sourd, vous avez bien entendu l’explosion!», lui dit le policier. «Une explosion? Je pensais qu’il s’agissait du signal usuel à la fin d’un discours.»
Même absence d’étonnement chez la personne suivante, qui croyait que les parlementaires marquaient ainsi leur approbation aux propos d’un orateur, ou leur désapprobation, pensait encore la troisième personne, et ainsi de suite.


De telles réactions sont significatives: tout se passe comme si nous disposions d’un arsenal d’explications destinées à faire façon au fur et à mesure de ce qui pourrait prendre le caractère d’un événement, de la même manière que le dormeur protège son sommeil en enrôlant les bruits réels dans le scénario de son rêve. Autrement dit, la perception est elle-même de la nature du délire, elle surinterprète, elle invoque n’importe quel type de causalité pour intégrer aussitôt ce qui pourrait la prendre de court; il faut la considérer comme un système immunitaire qui nous protège de la réalité plutôt que de la recevoir véritablement. Louis Aragon voulait qu’on envisageât l’art comme un «délire d’interprétation de la vie; mais c’est bien plutôt la raison, et peut-être déjà la perception, qu’il faudrait caractériser ainsi.


Le cas échéant, la fonction de l’art (celui du moins qui mérite son nom) serait de provoquer un dysfonctionnement dans ce système de traitement de l’information. «Le rôle de l’artiste, disait Henry Miller, c’est d’apporter la désillusion au monde» – une désillusion qu’il ne faut pas assimiler à une déconvenue, mais au contraire à une révélation consécutive au démantèlement des poncits réalistes qui nous tiennent lieu de connaissance objective – l’art en tant que virus informatique, pour ainsi dire.
«L’art n’est tel que par ce qui lui manque pour devenir réalité», disait déjà Quatremère de Quincy – ce manque, comparable à la case vide dans le jeu du taquin, ou au zéro dans les chiffres, ou aux blancs dans une aquarelle de Cézanne, achemine le regard et l’esprit à l’insoutenable indéfinition des êtres.


Mais nous ne nous laissons pas volontiers déposséder de nos certitudes. Les peintures qui les confortent sont certainement mieux reçues, du moins dans un premier temps, que celles qui les menacent. Le cas échéant, c’est l’œuvre réfractaire aux lieux communs que nous tentons de faire basculer à son tour dans le champ de l’interprétation abusive, en recourant, si c’est nécessaire, au commentateur patenté. Nous demandons à celui-ci de mettre la perturbation dont il est question sur le compte d’une anomalie ou d’une sensibilité exacerbée, celle de l’artiste – d’autant que, récursivement, cette singularité présomptive confirmera l’ordre des choses par contraste, à la manière d’un repoussoir. Référer l’œuvre à la subjectivité du peintre à celle d’un écorché vif, de préférence), c’est une forme de défense, c’est-à-dire de désengagement du regardeur, qui, paradoxalement, tient souvent lieu de compréhension.
Et Jean Lecoultre dans tout cela? Mais il n’a été question que de lui – du moins convenait-il de couper court à toute décharge de responsabilité sur sa personne. Il ne fait que nous associer, nous, les regardeurs, à des «expé-riences pour voir» (la formule de Claude Bernard s’applique indifféremment à l’art et à la science), sans préjuger de leur sens. Il procède comme un interlocuteur qui commencerait une phrase lourde de sens, mais qui ne l’achèverait pas. Par exemple, vous vous demandez ce que vient faire un tapis d’Orient à moitié déroulé dans maintes compositions des années quatre-vingt?


N’allez pas en demander raison à l’artiste, il l’ignore lui-même, ou feint l’ignorance! Le tableau est un miroir qui réfléchit avant de vous renvoyer votre question. Et déjà, qu’est-ce qu’un tapis vient faire chez quiconque, et chez vous, le cas échéant? Protéger le parquet, réchauffer la pièce, étouffer le bruit? Dans ce registre ambigu d’intimité et de décor, l’utilité n’est jamais qu’un prétexte ou qu’une couverture, précisément. Le tapis vient-il attester de votre standing ou de votre origine sociale? Vous raconter son histoire, ou celle, peut-être, de l’esclavage des enfants indiens ou thaïlandais qui l’ont tissé? Evoquer votre propre vie privée à laquelle il est si secrètement associé? Ou, plus subtilement, faire la relation entre votre intimité et l’extérieur, raconter «l’histoire mondiale, l’histoire mondiale de votre âme, comme disait Kafka?
En tout état de cause, et si vous voulez bien vous prêter à cet interrogatoire pictural fatalement indiscret, vous vous prenez aux fils d’une trame inextricable que nul ne peut prétendre démêler.
Est-ce à dire que l’œuvre autorise tous les commentaires, et qu’elle n’aurait d’autre signification que celle que le spectateur y apporte, à l’instar d’une auberge espagnole?
Faut-il assimiler la stratégie du peintre à celle de la voyante, qui sait exploiter un registre d’expression assez général, assez informe, assez indécis, pour que chacun croie y découvrir ce qu’il y met? La comparaison n’est pas aussi dépréciative qu’il y paraît. L’ouvre ne prend existence que décentrée par rapport à son auteur, et exposée à l’investissement du regardeur, exposant donc celui-ci à la confrontation. Tout au plus le peintre a-t-il dû pressentir que cette histoire de tapis (ou de pantalon, ou de carrelage, ou d’extincteur, ou de peluche Walt Disney, etc.) allait faire problème. D’une manière générale, son iconographie et, a fortiori, ses procédures de figuration ne ressortissent pas tant à des fantasmes personnels qu’à une stratégie de la désillusion dirigée contre un réalisme de convention qui est le nôtre autant que le sien.


A ce propos, tout a commencé vers 1962, quand Jean Lecoultre lui-même, on ne sait trop pour quelle raison, est sorti ou s’est dégagé d’un rêve (ou d’un cauchemar, ça dépend du point de vue) qui lui faisait tenir le rôle d’un peintre vaudois consacré la métaphore du réveil doit nous avoir été inspirée par cet humoriste qui affirmait que le Pays de Vaud est le berceau des arts, à preuve que ceux-ci y dorment de leur plus profond sommeil).
La discontinuité a donc chez Lecoultre un caractère ori-ginaire, matinal, provocateur et constructeur à la fois.


Elle opérera dès lors spectaculairement, de manière récurrente et comme en abyme dans les toiles à venir, de même que, à une plus grande échelle, comme une scansion articulant les séries successives. On peut la considérer comme un opérateur de vérité intervenant selon une logique fractale à tous les niveaux, existen-tiel, intra-pictural, méta-pictural, évolutif, etc.
La perception, disions-nous, fonctionne de telle manière que le réel, ou ce que nous prenons pour tel, se pre-sente comme un discours cohérent, univoque et convaincant – on pourrait parler péjorativement de la «prose du monde, en donnant à cette expression une connotation idéologique. «Déjà la perception stylise», affirmait encore Merleau-Ponty – il s’agit d’une stylisation académique, devrait-on préciser. C’est donc cette cohérence fallacieuse que le peintre entreprend de déjouer par la pratique de l’hétérogénéité. A maintes reprises, Lecoultre a trouvé un secours inspiré dans la photographie, dans celles surtout qu’il prend lui-même. C’est un paradoxe, si l’on considère que la photographie a généralement pour office de renforcer nos lieux communs perceptifs en leur apportant sa caution objective: l’objectif du photographe, en effet, dans la plupart des cas, c’est cet instantané providentiel où l’aspect fugitif d’un personnage ou d’un sujet quelconque coïncidera avec son essence présomptive (c’est-à-dire avec le poncif qui lui tient lieu de définition). Lecoultre fait tout au contraire un usage déconstructeur de la photographie. A l’instar du psychanalyste, il pratique l’attention flottante, qui consiste à se distraire du discours intentionnel (ou de ladite «prose du monde»), pour se concentrer sur le signifiant – défaire autrement dit l’unité factice de l’évidence pour qu’advienne en filigrane, ou en anagramme, ce que cette unité a pour «objectif» (c’est le cas de le dire) d’occul-ter. Pour dire encore la même chose autrement: alors que le regard se laisse prendre à ce qu’annonce le masque, la photographie ainsi conçue rabat la focale sur le masque comme tel.
D’où le caractère «mat» et fragmentaire des photos de Lecoultre, qui découpent et échantillonnent l’ordre des choses pour ne nous en restituer que des débris ou des vestiges énigmatiques (clichés photographiques contre clichés réalistes, pourrait-on dire). On pense à la méthode de l’expert et critique d’art italien Giovanni Morelli (dont Freud s’est beaucoup inspiré), qui consistait à se concentrer sur de minuscules détails (par exemple le traitement pictural de la lunule de l’ongle) pour repérer la touche personnelle d’un peintre, ou, le cas échéant, l’intervention d’un faussaire, en se déprenant ainsi du captieux effet d’ensemble. Lecoultre, lui, affronte picturalement un faussaire insoupçonné: la réalité elle-même…
Notons que le paléontologue Cuvier, lui aussi, s’attachait aux fragments, mais pour reconstituer métonymique-ment le tout, sur la postulation d’une unité anatomique et organique. Or, dans l’ordre du signifiant, c’est-à-dire du discontinu, il n’y a ni unité originaire, ni perspective de totalisation, il ne peut se produire qu’une dispersion ou une dissémination de sens, suivant des lignes de clivage ou des connexions multiples, illimitées et imprévisibles (dites associations libres en idiome psychanaly-tique). Par exemple, une main, en tant qu’organe ana-tomique, est univoque, elle renvoie nécessairement au corps humain auquel elle appartient en propre; mais en tant que signifiant, elle s’en affranchit, elle renvoie au salut ou à la menace, à la caresse ou au meurtre, à la bénédiction du Christ ou à la mort de Marat la disjonction n’étant pas exclusive, de surcroît…). A amputer cet organe de son contexte alors que le corps nu, ou l'”académie” (si bien nommée) représente le sujet par excellence de la mauvaise peinture, les vrais peintres s’intéressent électivement aux membra disjecta… Dès lors se trouve défaite toute unité subjective, et libérées des énergies anonvmes dont nul ne saurait s’exempter. C’est bien à un déchaînement d’associations insolites qu’aboutissent les déconstructions de Lecoultre, ce qui a amené les commentateurs à invoquer une ascendance surréaliste – attribution qui serait acceptable, si elle ne revenait pas à se tenir quitte de cette peinture comme d’une affaire classée.


On mesure la portée de cette stratégie picturale de la détotalisation à la vivacité des réactions ou des résistances de la critique. Par exemple, dans la série intitulée Pièces à conviction, le peintre s’est fixé sur des élé ments tels que médailles, décorations et sigles honorifiques ou militaires, non pas en les intégrant dans un sujet ou un récit qui nous eût renseignés sur leur signification (par exemple une caricature de général va-t-en-guerre, ou un portrait apologétique), mais en les isolant, ou en les déplaçant dans des ensembles problématiques, bref, en nous privant de leur mode d’emploi sémantique.


Le contexte est réducteur de sens, disions-nous, alors que la décontextualisation du signifiant telle que Lecoultre la pratique libère une énergie incontrôlable. A preuve la réaction d’un critique qui a interprété ces décorations comme l’indice d’une sympathie nostalgique pour les régimes militaires. C’est un exemple de commentaire ventriloque qui consiste à imputer personnellement à l’artiste les significations qu’on extrapole de ses manipulations formelles (de la même manière que les spectateurs des mystères du Moyen Age qui s’en prenaient après la représentation à l’acteur jouant Judas).


La discontinuité dont il est question intervient de la manière la plus spectaculaire dans le registre proprement iconographique: hiatus entre les règnes minéral, végétal et animal, entre l’abstraction et la figuration, entre les registres physique et mental, etc. Mais elle intervient déjà, et plus subtilement, dans la technique picturale, ce qui rend cette œuvre irréductible à la seule référence photographique. Le choc initial, qui a donné le branle à toutes les déconstructions, ce fut, en 1951, celui de Vélasquez et de Goya, découverts non plus par le truchement réducteur des reproductions, comme cela avait été le cas dans la période de jeunesse sous le signe de Paul Klee, mais in vivo, au Musée du Prado. Choc, oscillation, ou «immobile alternative», pour reprendre l’expression du peintre, entre l’unité péremptoire des grandes compositions à la gloire du pouvoir royal, et leur effondrement en un chaos de touches de couleurs pour peu qu’on franchisse la distance de vision respec-tueuse. C’est donc déjà au stade du signifiant pictural que se détermine la scission ou la schize entre l’illusion et la désillusion, entre l’apologie courtisane et la subversion, entre l’unité organique et la détotalisation formelle, entre l’ordre et le chaos.


Certes, la manière espagnole, adoptée déjà par les peintres impressionnistes comme une libération technique révolutionnaire, a fini par prendre force de loi, a l’instar de l’impressionnisme lui-même. Ce qui caracie rise et singularise plus précisement la démarche pictu. rale de Lecoultre, c’est le jeu insidieux de l’inappropriation, ou, plus précisément, le subtil anachronisme d’une technique picturale que la plupart des peintres étaient en train de répudier, appliquée paradoxalement à des suiets d’une actualité brutale. La discontinuité se traduit d’abord par cette maîtrise technique apparemment hors de propos, mais génératrice de chocs visuels dessillants.


Une insolence n’a jamais autant d’impact que quand elle se formule dans une langue châtiée, et sur le ton de la courtoisie.
C’est dire que la peinture est d’abord affaire de forme, de facture picturale, de traitement plastique, d’expérimentations figuratives, toutes aventureuses opérations se conduisant dans un registre de visibilité encore sous-trait, dans une large mesure, aux découpages verbaux, déterminant même ceux-ci dans le meilleur des cas. Le fait est que Jean Lecoultre, décidé à relever le défi de s’expliquer verbalement dans le texte intitulé Docu-mentaire, s’est retrouvé néanmoins et tout naturellement placé dans la situation d’un commentateur découvrant son propre travail comme s’il n’était pas de lui, hasardant une lecture sur le mode de l’hypothèse – preces-sion mieux que jamais vérifiée de la peinture sur les mots – précession, plus précisément, de la création (plastique ou littéraire) sur son explication, et même sur ses intentions.


Lorsqu’un peintre éprouve ainsi un sentiment de surprise devant ses propres travaux, lorsqu’il a l’impression de les aborder comme s’ils étaient d’un autre, lorsqu’il y découvre des vérités qu’il ne pensait pas y avoir mises, C’est le signe que, effectivement, il est peintre. Il accède à un registre de connaissance qui n’est pas proprement sien, parce qu’il précède, déborde ou enjambe les sphères individuelles, les leurres narcissiques et les infatuations égocentriques – à commencer par les siens Propres. Il se met en phase sur des énergies psychiques Obscures, anonymes et silencieuses, encore indemnes de tout cloisonnement et de toute appropriation personnelle, traversant les subjectivités, donc d’autant plus communicatives – la formule surréaliste des “vases communicants” est particulièrement bienvenue.

Certes, le peintre exploite ses propres ressources intérieures, tributaire plus que tout autre de sa préhistoire inconsciente, de ses accidents biographiques et de ses choix informulés. Mais il est peintre (ou poète) dans la mesure où il investit ces déterminations intimes, celles qui, par le fait, lui sont le plus indéchiffrables, comme

des signifiants privilégiés, engageant des associations incontrôlées et illimitées, reconduites par les regardeurs, sans solution de continuité individuelle. Déjà dans le registre corporel, les larmes, le fou-rire ou les bâillements se communiquent sans autre raison qu’une sorcellerie proprement télépathique. Mais le phénomène de participation se trouve suractivé quand c’est le langage visuel ou verbal qui se trouve impliqué, ou mis en question, par ce qui pourrait équivaloir à des manipulations génétiques, ou à des catastrophes sémantiques en chaîne.
Comment ne pas tressaillir devant la brutalité de ces hia-tus, intervenant au cœur de la réalité la plus familière, et qui exposent une silhouette humaine à la décomposition spectrale, un corps dénudé à la pétrification, une végétation luxuriante à la dénaturation, si ce n’est l’image elle-même à son enlisement dans la matérialité pictu-rale? Il y a peut-être bien un fantasme, un traumatisme, un drame privé à l’origine de ces désastres obsession-nels, les barres de métal qui embrochent, les courroies qui ligotent, les sédimentations nécrosantes, les avortements de formes, les métastases insinuantes, etc. Mais, le cas échéant, l’énigme personnelle et inconsciente ne fait qu’actualiser et aviver des antagonismes fondamentaux et de tous ordres auxquels nul n’échappe, qui affrontent par exemple le ça et le surmoi, l’entropie et la structure, l’anarchie et l’ordre, le hasard et la nécessité, la vie et la mort (selon qu’on s’exprime dans des termes psychanalytiques, scientifiques, philosophiques, etc.). Le fait est que la dissociation la Spaltung, disent les psychanalystes) est, plus encore que le bon sens, constitutive du psychisme humain, c’est le trait commun (ou la schize commune) à tous les représentants de l’espèce. Notre humaine condition veut que nous soyons tous originairement felés (Henri Michaux: «Le sage trouve l’édredon dans la dalle»). Au demeurant, si énigmatique soit-elle quant à ses racines subjectives, la mythologie de Lecoultre est d’autant plus communicative qu’elle emprunte le langage figuratif des nouveaux media, de la technologie, de la culture de masse, de l’écologie, bref, de notre contemporanéité.
Tel est le paradoxe d’un art secret et introspectif, mais qui nous touche tout autrement qu’une confidence: c’est par l’extrême subjectivité et par l’extrême singularité que
le peintre nous rejoint.

-MT

©2003, Fondation Pierre Gianadda, Martigny



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