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Nathalie Chaix

Votre haute stature
Votre regard bleu qui attrape
Votre visage aiguisé que vous éclairez de généreux sourires
Timide, dites-vous, avec des éclats d’impertinence


Certaines découvertes se sont faites très rapidement.
Vous évoquez Rimbaud, Verlaine, Eluard, les surréalistes. Jeune, vous écriviez des poèmes.


Vous étiez employé de bureau dans une compagnie d’aviation à Genève.
J’ai obtenu un diplôme dans ma vie. Le diplôme de l’école de
commerce.
Un jour j’ai décidé de tout abandonner pour faire le peintre. Partir d’ici. Quitter la Suisse.


Il y a eu la découverte du traité de la peinture de Léonard de Vinci. L’influence de Paul Klee.
Il y a eu la rencontre avec Lélo Fiaux, ses mots jamais oubliés:
«Il y a des erreurs, mais continuez!» lorsque vous lui montrez votre premier tableau, Le Christ mort, peint sur un drap de lit volé à votre mère. Votre gratitude à être accepté dans le cercle de ses intimes; la permission de promener son chien – un caniche noir au nom tahitien – dans la rue de Bourg où se trouvait son atelier témoignait de la confiance accordée.


Il y a eu la dédicace de Philippe Jaccottet:
«Pour Jean Lecoultre
Qui est au seuil des plus beaux domaines de l’homme.»


Alors, vous décidez de vous jeter entièrement, passionnément, éperdument dans la création artistique. De faire entendre votre voix.

La revue Minotaure, découverte à la bibliothèque de Lausanne (plongée totale qui détermine la vie), L’Espoir d’André Malraux, Où habite l’oubli de Louis Parrot, le visage de Manolete sur une carte postale brodée offerte par Lélo Fiaux, une adresse de galerie madrilène qu’elle vous donne. Vous choisissez l’Espagne parce que tous les jeunes artistes allaient à Paris et qu’un sentiment ténu dans mon inconscient m’indiquait que je devais aller à Madrid.

Au Prado, passion pour Francisco de Goya – il me transmettait cette effervescence qui était en moi – et Diego Vélasquez – il mía donné la dimension de la peinture -, mais aussi pour le cinéma, les films noirs américains.


En 1951, votre première exposition à Madrid; en 1952, votre première exposition à Lausanne, votre mariage avec Acacia rencontrée dans la capitale espagnole.


Après votre retour à Lausanne en 1957, vous créez un nouveau langage plastique. Vous vous exprimez dans différentes tech-niques: dessin, peinture, estampe. Vous utilisez les collages, les montages, l’alliance de textures, la peinture acrylique fluorescente ou iridescente, l’émail et la photographie qui vous fascine.
Vos œuvres explorent un univers énigmatique, cinématographique. Plongée à l’intérieur d’une narration, d’un roman de Don DeLillo, d’un polar. Peinture qui happe, capte, désarçonne le regard
Ce que je montre est insidieux. Ce n’est pas immédiat.


Avant, l’idée devenait croquis, le croquis devenait œuvre.
Maintenant, vous travaillez directement sur la toile, à partir de documents.
C’est une autre aventure. Avant, ça avançait par étapes, maintenant non.
C’est intéressant, le grand âge.


Alors que nous sommes installés dans un salon en cuir brun attenant à votre atelier, sous l’œil d’Acacia, si belle en noir et blanc, vous racontez:
Une inauguration à la Fondation Maeght en présence d’Ella
Fitzgerald, Duke Ellington, Alberto Giacometti…
L’été 1970 à la Biennale de Venise…
Vos illustrations, en 1975, pour Le Coup de dés de Stéphane Mallarmé…
Les décors réalisés pour Fin de partie de Samuel Beckett en
1978…
Le travail d’une vie d’artiste évoqué avec vivacité et humilité.


Jean,
Un peu de votre voix inscrite dans notre mémoire
Un peu de votre rire si prompt à surgir
Et surtout, surtout
L’intensité de votre amitié.

-NC

Nathalie Chaix est directrice du Musée Jenisch à Vevey.


Texte paru dans le catalogue de l’exposition “Jean Lecoultre. L’oeil à vif”, 2021, au Musée Jenisch à Vevey.

©Fondation William Cuendet.

(L’iconographie reprend celle du catalogue publié par La Dogana©)


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